Deux pôles, un avenir commun : Appel à une action renforcée pour préserver nos régions polaires et notre planète
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Dans le cadre de son Initiative Polaire, la Fondation Prince Albert II de Monaco a co-organisé son premier symposium scientifique sur les changements dans les régions polaires "The Cold is Getting Hot ! Symposium polaire : de l'Arctique à l'Antarctique" les 24 et 25 février 2022 en partenariat avec le Comité Scientifique pour les Recherches en Antarctique (SCAR), le Comité International des Sciences Arctiques (IASC), et l'Institut Océanographique de Monaco, Fondation Prince Albert Ier de Monaco. Plus d'une centaine de scientifiques de renom se sont réunis au Musée océanographique de Monaco pour discuter des changements dans les régions polaires, de leurs impacts sur les populations et l'économie, de la gouvernance et des solutions possibles.
L'importance du monde de la glace pour le climat mondial et le développement socio-économique humain est indéniable. Mais les changements environnementaux dans l'Arctique et l'Antarctique s'accélèrent, affectent les espèces et les écosystèmes locaux et ont un impact sur les systèmes climatiques et écologiques, bien au-delà des régions polaires.
L'événement "Les océans polaires : force motrice de l'océan mondial" organisé le 28 juin dans le cadre de la conférence des Nations Unies sur les océans à Lisbonne (27 juin - 1er juillet 2022) a permis de partager les conclusions scientifiques de ce symposium. S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, scientifiques et défenseurs de la cause polaire se sont réunis pour attirer l'attention sur le rôle des océans Austral et Arctique en tant que vecteurs du changement océanique et climatique global.
LES RÉGIONS POLAIRES EN PLEINE MUTATION
Lorsque nous pensons aux régions polaires, nous avons tendance à les imaginer vastes, éloignées et vierges. Nous pensons aux narvals et aux morses, aux pingouins et aux ours polaires - des espèces remarquables vivant sur des contrées éloignées de notre quotidien. Et pourtant, notre histoire et notre avenir sont étroitement liés à la cryosphère. L'homme a évolué dans un monde glaciaire. Malgré leur éloignement, les régions polaires sont essentielles à notre santé et à notre bien-être et indispensables à l'équilibre des systèmes terrestres. Les pôles abritent une biodiversité extraordinaire, de nouvelles espèces et propriétés étant constamment découvertes. Les régions polaires abritent et fournissent de la nourriture et des moyens de subsistance à des centaines de milliers de personnes, et elles régulent notre climat. De Reykjavik aux îles Fidji, nos vies sont fondamentalement et intimement liées aux pôles.
Mais les régions polaires sont en train de changer, sous nos yeux et à un rythme sans précédent dans l'histoire. Le changement climatique induit par l'homme entraîne la fonte des calottes glaciaires, la modification des modèles de circulation océanique, le dégel du pergélisol, le réchauffement et l'acidification de l'océan. Des changements qui ont des conséquences pour les êtres humains, où qu'ils vivent : élévation du niveau de la mer, perturbation du système climatique et amplification des phénomènes météorologiques extrêmes, inondations, sécheresses et incendies de forêt, impacts sur les écosystèmes polaires et les organismes dont les populations dépendent pour leur subsistance. Ces effets se renforcent mutuellement, entraînant des conséquences complexes à appréhender et à prévoir.
Le recul de la glace dans les pôles s'accompagne également de nouvelles opportunités économiques pour l'exploitation du pétrole et du gaz, l'extraction minière, la pêche, le tourisme, la navigation et le transport, augmentant ainsi les risques associés pour les espèces polaires, les écosystèmes et - dans l'Arctique - pour les populations autochtones et les communautés locales, dans un contexte géopolitique complexe. Les pôles peuvent jouer un rôle dans la satisfaction des besoins mondiaux en matière d'alimentation et d'énergie, si la durabilité à long terme est privilégiée, avec un juste équilibre entre protection et usages, et par le biais de processus participatifs véritablement inclusifs et respectueux.
DES FAITS CLAIRS ET INDISCUTABLES
Une science solide est essentielle pour guider un développement durable et résilient des régions polaires ainsi que des actions politiques significatives et efficaces.
Le symposium a permis de souligner que certains faits scientifiques sont indiscutables :
- Les Pôles se réchauffent deux à trois fois plus vite que le reste du monde.
- La glace de l'Arctique disparaît à un rythme de 13 % par décennie. Un été sans glace dans l'océan Arctique pourrait être observé dès 2030.
- Le glacier Thwaites, hot-spot critique de l'Antarctique, recule rapidement. Il pourrait s'agir d'un point de basculement au-delà duquel les effets seront amplifiés et le changement irréversible.
- L'océan Austral absorbe 50 % des émissions mondiales annuelles de CO2, un bénéfice climatique très important, mais cette capacité se ralentit à mesure que le CO2 est absorbé.
- 20,2 % de la surface terrestre de l'Arctique et 4,7 % de la surface maritime de l'Arctique sont protégées (données 2016). Deux AMP ont été créées dans l’espace de la CCAMLR : une sur le plateau sud des îles Orcades du Sud (en 2009) et une dans la région de la mer de Ross (en 2016). Des discussions sont en cours pour augmenter le nombre d'aires protégées dans l'Arctique et créer 3 AMP d'importance capitale dans l'Antarctique.
- Une élévation du niveau de la mer de 35 cm d'ici à 2050 est déjà programmée, même si les émissions de CO2 étaient ramenées à zéro aujourd'hui.
- Les émissions naturelles de gaz à effet de serre dues au dégel de la toundra augmentent et pourraient devenir un facteur important du bilan mondial du carbone [le « pays du permafrost »].
UN AVENIR INCERTAIN
Cependant, de grandes incertitudes demeurent cependant et, alors que de nouvelles opportunités économiques se développent, le rythme de la recherche polaire et des découvertes scientifiques ne répond pas aux multiples besoins de prédiction des trajectoires futures des changements croissants qui se produisent dans les pôles. Les efforts doivent être poursuivis pour évaluer en permanence les impacts des nouvelles activités sur cet écosystème fragile, tout en surveillant davantage ses caractéristiques biophysiques et écosystémiques ainsi que les impacts du changement climatique sur les systèmes polaires, parallèlement à l’élaboration de scénarios. Dans les profondeurs de la mer de Weddell, des technologies de pointe ont permis de découvrir la plus grande zone de reproduction de poissons du monde. L'industrie pharmaceutique, qui envisage son avenir dans les régions polaires, favorise l'essor de la « bioprospection » et l'examen des caractéristiques d'adaptation des organismes qui vivent dans l'un des environnements les plus extrêmes du monde. Moteur fondamental des systèmes mondiaux de l'océan, de l'atmosphère et du climat, les mondes polaires recèlent de nombreuses inconnues qui, si elles étaient étudiées plus avant, permettraient de déterminer le degré d'adaptation et de protection qui peut encore être atteint face au changement climatique.
UN APPEL À L'ACTION IMMÉDIATE
Partageant leurs conclusions et leurs points de vue, les participants du symposium appellent à de nouveaux efforts afin de renforcer les actions en faveur de la protection des régions polaires et d'un monde durable:
1. Traiter d’urgence la question du changement climatique
Il est primordial de réduire rapidement les émissions de dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre et de maintenir le réchauffement bien en deçà de 2°C, conformément à l'accord de Paris, afin d'éviter les conséquences néfastes dans les pôles et les effets catalyseurs dans le monde entier en termes d'élévation du niveau de la mer, de perturbation des courants océaniques et atmosphériques et de réchauffement. Chaque dixième de degré compte.
2. Augmenter significativement les investissements dans la recherche polaire
Cela implique a) d'accélérer le rythme de la science, en se concentrant sur la résolution des plus grandes incertitudes, en fournissant un accès et des ressources pour de meilleures infrastructures et en encourageant la collaboration intersectorielle science-société-industrie ; b) de mobiliser davantage d'initiatives de collaborations internationales, en s'appuyant sur les réussites et les enseignements tirés des projets phares précédents et en cours tels que MOSAIC, EPICA et la collaboration internationale sur les glaciers de Thwaites ; et c) de veiller à ce que la recherche soit inclusive, interdisciplinaire, intégrée et coproduite. Les peuples autochtones et les connaissances traditionnelles ont un rôle crucial à jouer. Et les scientifiques polaires en début de carrière doivent être mieux soutenus et encouragés à participer à la co-conception, à la mise en œuvre et au partage des travaux de recherche.
La science et la connaissance sont à la base du maintien d'économies et de communautés résilientes, en particulier face au changement. Il est absolument nécessaire de développer des systèmes d'observation interdisciplinaires intégrés des océans polaires, afin d'améliorer les projections du réchauffement climatique et de mieux se préparer aux changements inévitables. Il est également urgent de donner la priorité à une meilleure compréhension des interactions entre l'océan et la glace et de l'absorption de la chaleur par l'océan.
3. Minimiser les autres pressions, fournir l'espace et le temps nécessaires pour découvrir et protéger la vie polaire avant qu'elle ne disparaisse et renforcer la résilience face à l'accélération du changement climatique.
Les mesures de gestion doivent être prudentes et s'adapter aux nouvelles découvertes et aux nouvelles données, afin que les actions puissent être ajustées en fonction des informations disponibles. La création d'aires marines protégées, correctement localisées et accompagnées d’une surveillance et de mises en application adéquates, est un outil de gestion éprouvé pour la protection des écosystèmes polaires. L'élimination des menaces de pollution, la réduction des invasions d'espèces et la promotion d'une pêche durable sont d'autres options appropriées. Il est important de noter qu'aucune solution ne fonctionnera si elle n'est pas juste et équitable, respectant les droits et les connaissances des peuples autochtones et des communautés locales du Nord.
4. Renforcer la collaboration entre les communautés scientifiques de l'Arctique et de l'Antarctique
Bien que les problèmes et le contexte soient différents, de nombreux thèmes communs gagneraient à être abordés de façon collective, d'autant que les régions polaires sont les zones les plus reculées du monde, rendant la collecte de données plus difficile et plus coûteuse à financer. Comme les nouvelles technologies utilisant les satellites, la robotique et l'intelligence artificielle seront nécessaires, le partage des coûts et l'utilisation mutuelle seraient avantageux. Les questions relatives au nexus océan-climat ou aux interactions entre la glace et la mer nécessitent des efforts de recherche conjoints entre les deux pôles. Les opportunités économiques qui se présentent en Arctique et en Antarctique seraient mieux accompagnées avec un renforcement des capacités et des protocoles de surveillance communs. Cela nécessite des investissements importants, une collaboration internationale et des partenariats novateurs. Il convient, en effet, de multiplier les possibilités de coordination des efforts scientifiques arctiques et antarctiques dans un souci d'efficacité et d'efficience, permettant également de réaliser conjointement des évaluations et des projections du changement.
5. Porter la voix des régions polaires
La communauté scientifique a besoin de canaux et de moyens de communication efficaces pour présenter et alerter les parties prenantes. Les scientifiques doivent faire entendre leurs messages bien au-delà des régions polaires. Les leaders et les porte-paroles doivent continuer à faire entendre la voix de la science et transmettre avec force les résultats et les connaissances à des publics plus larges, en partageant des histoires et des émotions autant que des faits : intégrer les questions polaires dans les conférences internationales axées sur les océans ou le climat, autant que sur les sujets qui concernent les îles ou les pays désertiques ; mobiliser médias, défenseurs et personnes influentes aux côtés des scientifiques pour rendre visible le rôle des régions polaires et leur évolution.
Les régions polaires telles que nous les connaissions ne sont plus les mêmes aujourd'hui et ne seront plus les mêmes demain. Certains des changements à venir sont inévitables, en raison des émissions passées et actuelles, mais nous avons encore la possibilité d'enrayer certains effets néfastes, de nous adapter au changement et de préserver les fonctions clés de ces écosystèmes, même si la fenêtre pour agir se referme rapidement.
Les preuves scientifiques les plus récentes et les plus incontestables définissent non seulement l'état de l'environnement et les orientations possibles pour l'avenir, mais fournissent également un état des lieux des causes qui permettent d'identifier les actions nécessaires pour commencer à inverser les effets de décennies d'émissions de gaz à effet de serre.
Aux côtés de S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, dont le leadership sur les questions polaires est internationalement reconnu, les partenaires de l'Initiative Polaire et les participants du symposium appellent à une plus grande protection des régions arctiques et antarctiques et à garder notre attention tournée vers le bénéfice qu'elles représentent pour la Planète et l'Humanité.