Retour à la liste

L'élimination du carbone par les habitats de carbone bleu est incertaine et peu fiable.

Monaco

Article

Initiative

Selon une nouvelle étude, la restauration de la végétation côtière - les habitats dits de "carbone bleu" - pourrait ne pas être la solution naturelle au problème climatique qu'elle prétend être.

Dans leur analyse, les chercheurs de l'Université d'East Anglia (UEA), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'initiative OACIS portée par la Fondation Prince Albert II de Monaco remettent en question l'idée largement répandue selon laquelle la restauration des écosystèmes tels que les mangroves, les pré-salés et les herbiers marins peut absorber de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO2 ) de l'atmosphère.

Les conclusions de leur étude, publiées aujourd'hui dans la revue Frontiers in Climate, identifient sept raisons pour lesquelles la comptabilisation du carbone dans les écosystèmes côtiers est non seulement extrêmement difficile mais aussi risquée.

Il s'agit notamment de la grande variabilité des taux d'enfouissement du carbone, de la vulnérabilité aux changements climatiques futurs et des flux de méthane et d'oxyde nitreux. Les auteurs, qui ont également examiné les informations relatives aux coûts de restauration, préviennent que des mesures supplémentaires peuvent réduire ces risques, mais qu'elles entraîneraient des coûts beaucoup plus élevés.

Ils soulignent toutefois que les habitats du carbone bleu doivent être protégés et, si possible, restaurés, car ils présentent des avantages pour l'adaptation au climat, la protection des côtes, l'approvisionnement alimentaire et la conservation de la biodiversité.

L'auteur principal, le Dr Phil Williamson, lecteur honoraire à l'école des sciences environnementales de l'UEA, a déclaré : "Nous avons examiné les processus impliqués dans l'absorption du carbone et il y a trop d'incertitudes. Les avantages climatiques attendus de la restauration des écosystèmes de carbone bleu peuvent être atteints, mais il semble plus probable qu'ils soient très insuffisants. 

"Si vous voulez avoir une absorption supplémentaire de carbone, il faut étendre la surface de ces écosystèmes. Or, les possibilités de restauration sont limitées. Un grand nombre des sites qui abritaient ces habitats ont été détruits pour construire des infrastructures côtières en lien avec, par exemple, le tourisme ou le transport (développement portuaire).

"Néanmoins, nous pensons que tout doit être mis en œuvre pour stopper, et si possible inverser, la perte mondiale de végétation côtière. En effet, les habitats de carbone bleu sont plus que des réserves de carbone - ils offrent également une protection contre les tempêtes, soutiennent la biodiversité et la pêche, et améliorent la qualité de l'eau."

Les sédiments qui se trouvent sous les mangroves, les pré-salés et les prairies sous-marines sont riches en carbone organique, accumulé et stocké pendant des centaines d'années. 

Un grand nombre d'études et d'examens récents ont mis en évidence le potentiel de ces écosystèmes côtiers à carbone bleu pour apporter une solution naturelle au problème du climat de deux manières : par la conservation, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre résultant de la perte et de la dégradation de ces habitats, et par la restauration, en augmentant la séquestration de dioxyde de carbone et son stockage à long terme.

Cette nouvelle étude se concentre sur ce dernier point, en évaluant la possibilité de parvenir à un stockage quantifié et sûr du carbone (émissions négatives) par la restauration de la végétation côtière.

De plus en plus d'entreprises et d'États se sont engagés à compenser leurs émissions en restaurant ces écosystèmes grâce à des crédits carbone, en supposant que l'on dispose de connaissances fiables sur la quantité de CO2 qu'ils élimineront à l'avenir de l'atmosphère. 

Cependant, le Dr Williamson et son co-auteur, le professeur Jean-Pierre Gattuso, du CNRS et de l'initiative OACIS de la Fondation Prince Albert II de Monaco, affirment que le problème  est plus subtil. En effet, l'élimination du CO2 par la restauration du carbone bleu côtier présente un rapport coût-efficacité discutable lorsqu'elle est considérée uniquement comme une mesure d'atténuation du changement climatique, que ce soit pour la compensation du carbone ou pour l'inclusion dans les contributions nationales des pays, qui définissent leurs efforts pour réduire les émissions et s'adapter aux effets du changement climatique dans le cadre de l'accord de Paris.

"Si nous utilisons ces écosystèmes pour compenser les émissions de carbone, en espérant qu'ils éliminent jusqu'à, disons, 100 milliards de tonnes de dioxyde de carbone sur la période 2025-2100, mais qu'ils n'en éliminent que 10, voire un seul milliard de tonnes de CO2 , les points de basculement du climat pourraient être franchis, avec des conséquences très graves", a déclaré le Dr Williamson.

"Si, toutefois, ces écosystèmes sont restaurés pour protéger la biodiversité et que nous constatons qu'ils éliminent également plusieurs milliards de CO2 , ce serait un bonus, étant entendu  que d'autres moyens doivent être mis en oeuvre pour atténuer le changement climatique.

"La restauration doit donc s'ajouter, et non se substituer, à la réduction quasi-totale des émissions. Lorsque les projets de restauration des écosystèmes bleus côtiers sont menés principalement pour l'élimination du carbone, ils doivent inclure un suivi très attentif à long terme pour vérifier que les avantages climatiques escomptés sont bien atteints."

Le professeur Gattuso a déclaré : "De nombreuses questions importantes relatives à la mesure des flux et du stockage du carbone n'ont pas encore été résolues, ce qui affecte la certification et peut entraîner une sur-créditation.

"La restauration des écosystèmes côtiers à carbone bleu est néanmoins très avantageuse pour l'adaptation au climat, la protection des côtes, l'approvisionnement alimentaire et la conservation de la biodiversité. Une telle action peut donc être sociétalement justifiée dans de très nombreuses circonstances, sur la base des multiples avantages que ces habitats procurent au niveau local."

L'article "Carbon removal using coastal blue carbon ecosystems is uncertain and unreliable, with questionable climatic cost-effectiveness", Phillip Williamson et Jean-Pierre Gattuso, est publié dans Frontiers in Climate le 28 juillet.

 

 

Notes aux rédacteurs

1/ Pour de plus amples informations et des interviews, le Dr Phil Williamson peut être contacté via P.Williamson@uea.ac.uk. Vous pouvez également contacter l'équipe chargée du contenu et des communications de l'UEA à l'adresse communications@uea.ac.uk . Le professeur Jean-Pierre Gattuso peut être contacté via jean-pierre.gattuso@imev-mer.fr .

2/ L'Université d'East Anglia (UEA) fait partie du Top 30 des universités britanniques et se classe parmi les 20 premières pour la qualité de sa recherche (analyse Times Higher Education REF2021). Elle se classe également dans le top 10 britannique pour son impact sur les objectifs de développement durable. Connue pour ses recherches de pointe et la qualité de ses étudiants, l'UEA a reçu la médaille d'or du cadre d'excellence de l'enseignement et est un membre important du Norwich Research Park, l'une des plus grandes concentrations de chercheurs d'Europe dans les domaines de l'environnement, de la santé et des sciences végétales. www.uea.ac.uk

3/ L'initiative Acidification des océans et autres changements océaniques - Impacts et solutions (OACIS) coordonnée par la Fondation Prince Albert II de Monaco fait progresser la science sur les impacts des multiples facteurs de stress climatique, dont l'acidification des océans, sur les organismes et les écosystèmes marins, ainsi que sur les solutions océaniques potentielles pour contrer ces impacts. Partenaires : Gouvernement de Monaco, Laboratoires environnementaux de l'AIEA, Centre scientifique de Monaco, Institut océanographique, Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-mer, Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). https://www.fpa2.org/en/initiatives/oacis-006

4/ L'étude est portée par l'initiative Acidification des océans et autres changements océaniques - Impacts et solutions (OACIS), soutenue financièrement par la Fondation Prince Albert II de Monaco, la Fondation Veolia, le Centre de coordination international de l'acidification des océans de l'AIEA et le Fonds Français pour l’Environnement Mondial.